On a parlé à trois spécialistes du vol à l’étalage.
En Belgique, 13,1 % de la population se trouve dans une situation de risque de pauvreté monétaire – ça désigne les ménages « dont le revenu total disponible est inférieur au seuil de pauvreté », soit 1 287 euros par mois pour une personne isolée. À Bruxelles, ce chiffre atteint 24,9%, soit presque une personne sur quatre, le taux le plus haut de Belgique. Parmi les groupes les plus touchés au sein de la population, on retrouve notamment les personnes au chômage et les 18-24 ans.
Niveau conso, les prix dans les supermarchés ne cessent d’augmenter. Pendant ce temps, le secteur cherche à stigmatiser les gens qui volent en avançant le chiffre de 3 millions d’euros de marchandises volées chaque jour, soit environ un milliard d’euros par an. À titre de comparaison, la fraude fiscale génère un manque à gagner d’à peu près 30 milliards d’euros à l’Etat belge chaque année, soit trente fois plus, et ne provoque pas vraiment de réaction concrète.
Récemment, le ministre de la justice, Vincent Van Quickenborne a mis en place un système de transactions immédiates en cas de flagrant délit de vol à l’étalage. Ainsi, toute personne prise la main dans le sac pourra se voir proposer une amende de 350 euros maximum à régler sur place afin d’éviter de passer devant un tribunal. Pas sûr que ça règle le problème des gens qui galèrent mais c’est probablement pas le but non plus.
Entre précarité grandissante et injonction à l’hyperconsommation, le vol à l’étalage semble parfois la solution de facilité. J’ai parlé à trois personnes qui connaissent bien cette situation.
Rob (34 ans)
VICE : Ça t’évoque quoi, le vol à l’étalage ?
Rob : On vit dans une société qui est basée sur le vol. Les entreprises arnaquent les client·es, les patron·nes et les actionnaires fraudent l’impôt, les politicien·nes sont corrompu·es, volent de l’argent public… Et nous les travailleur·ses pauvres, on devrait être honnête ? Personnellement je ne volerais pas si les salaires étaient dignes de ce nom et les aides sociales suffisantes. Je vole par nécessité. Je n’en suis pas fier, mais c’est nécessaire pour moi. Ceci dit, je ne vole pas les petits commerces, uniquement les grosses enseignes capitalistes qui brassent des milliards sur notre dos.
Tu voles quel genre de trucs en général ?
Je vole des quantités assez impressionnantes de nourriture et d’objets de première nécessité. Je m’améliore avec le temps et je fais très attention car j’ai besoin de pouvoir continuer à le faire.
Des problèmes à signaler ?
Mon pire souvenir c’est les quelques fois où je me suis fait griller et où j’ai mis mal à l’aise une vendeuse ou un vendeur du magasin. Ça m’ennuie de les faire stresser, je suis pas un mauvais gars, je suis juste dans le besoin. Je sais que ces vendeur·ses sont des travailleur·ses aussi précaires que moi, je ne veux pas les ennuyer ni leur causer de soucis. Le vol à l’étalage est le produit de la misère sociale. Au final c’est stressant comme pratique, même avec l’habitude. Et le stress c’est bon pour personne.
T’as des tuyaux ?
J’encourage pas cette pratique mais je la critique pas non plus. Toujours acheter un truc quand on vole ; sortir du magasin sans article c’est méga flagrant. Repérer les angles morts des caméras du magasin. Porter une veste avec de grandes poches – si vous saviez tout ce que j’ai déjà mis dans mes poches… Ne pas rester trop longtemps dans le magasin. Au pire tu repères un peu les lieux à l’avance, ça te fera gagner du temps sur ce que t’as décidé de prendre plus tard. Conseil ultime : ayez toujours de quoi payer l’objet du vol sur vous, ça vous évitera pas mal d’ennuis.
Gabi (25 ans)
VICE : Qu’est-ce que tu penses du vol ?
Gabi : Pour moi, le vol c’est un bon moyen de faire ce que l’on appelle de l’auto-réduction. Quand je fais des courses à 40 balles et que je sais que le supermarché va se faire une marge de 20 euros, franchement, voler 10 ou 15 euros, je trouve pas ça abusé. Après, le vol c’était selon moi un truc qui se pratiquait vraiment que dans des grandes enseignes, simplement parce que j’avais pas envie de voler le petit épicier du coin qui galère déjà à finir son mois.
T’as arrêté de voler en fait ?
Je volais surtout dans les supermarchés pour faire mes courses, etc. J’ai fait ça pendant trois ans et demi à peu près, en quantités parfois assez conséquentes. Mais maintenant je ne vole plus trop parce que j’ai plus de moyens. Et le fait de m’être fait choper il y a pas longtemps dans le supermarché d’à-côté m’a calmée.