La présence des smartphones dans les soirées et dans les raves est un vrai problème.
En décembre, une vidéo montrant un mec dansant torse-nu en short dans un club de Londres a fait le tour de Twitter. « Yo, je n’irai plus jamais au fabric après avoir vu ça », peut-on lire en légende. Une série de commentaires injurieux et homophobes a suivi. Heureusement, il y a aussi eu une pluie de soutien critiquant l’auteur de la vidéo, beaucoup citant la politique anti-photo du club.
Le mec dans cette vidéo, c’est Michael Peacock, un ingénieur ferroviaire de 64 ans à la retraite, jardinier bénévole de jour et habitué de l’établissement la nuit. « Quand j’ai découvert les tweets et le soutien que l’auteur de la vidéo a reçu, ça m’a vraiment fait mal au cœur », confie Peacock, qui va au fabric trois ou quatre fois par mois. Pour lui, le dance floor a toujours été un espace sûr où il pouvait être lui-même et exprimer librement sa sexualité. « On me filme tout le temps en soirée », raconte-t-il en évoquant sa façon de danser inspirée de Paris Is Burning. « Ça ne m’avait jamais vraiment dérangé avant, mais cet incident a tout changé. Je me demande combien de fois les gens m’ont filmé pour se foutre de ma gueule. »
Aujourd’hui, tout le monde a un téléphone avec appareil photo et des réseaux sociaux à alimenter, et filmer des inconnus sans leur accord a pris une ampleur alarmante. En particulier dans les milieux de la nuit. Il n’est pas rare de voir des gens filmer des inconnus en boîte ou dans des raves et poster les vidéos sur les réseaux sociaux pour se faire remarquer et amasser les likes. Sans le savoir, la personne sur ces images fait le tour du monde avant même de rentrer chez elle.
Au mieux, les vidéos non consensuelles constituent une atteinte à la vie privée. Au pire, et en particulier si elles servent à ridiculiser quelqu’un qui ne correspond pas au male gaze de l’homme blanc, cis, het, ces images peuvent être une incitation à la haine. Les publier en ligne revient presque à inviter les gens à s’attaquer à une personne qui n’a absolument rien demandé. Ça peut inciter au validisme, au sexisme, au classisme, à l’agéisme, à la transphobie et/ou à l’homophobie.
Et en plus, ça tue l’ambiance. Une enquête menée par Eventbrite en 2019 a révélé que 70 % des personnes interrogées trouvent l’utilisation du téléphone lors d’événements énervante, et 69 % sont d’accord pour que des mesures soient prises pour la minimiser. Pourtant, ces choses-là arrivent tout le temps : la semaine dernière, une personne a posté une vidéo sur TikTok lors d’un événement Audiowhore à Londres, avec pour légende : « J’ai croisé un papy pété au 2cb à la rave party de Noël ». La vidéo a été visionnée plus de 156 000 fois. Le papy en question était une légende de la rave, connue sous le nom de Birdman.
« Ça ne pose pas de problème si on me demande la permission. Mais quand quelqu’un filme en cachette, et que je retrouve ça en ligne, c’est autre chose » – John Junior
La culture du clubbing est en principe fondée sur l’expression de soi et l’évasion, mais on en est souvent bien loin dans ces soirées. Ce sont généralement les personnes qui ne correspondent pas au profil du clubber type qui sont ciblées dans ces vidéos. John Junior, 34 ans, milite pour la santé mentale et souffre de handicaps physiques et mentaux. Il emmène partout avec lui un canard jaune en peluche pour sensibiliser le public à ces questions.
« J’étais assis au bar du Impossible à Manchester, quand j’ai surpris un groupe en train de me filmer », raconte Junior. « Ça arrive souvent – et ça ne pose pas de problème s’ils demandent la permission. Mais quand quelqu’un filme en cachette, et que je retrouve ça en ligne, c’est autre chose. Je suis déjà tombé sur des vidéos de moi où on me traitait de tous les noms : attardé, débile, handicapé, malade mental. J’ai dû les faire retirer. »
Même sans les insultes, filmer sans permission reste un comportement déplacé. Catherine Entwistle, une chercheuse de 26 ans, a surpris un homme qui filmait son groupe d’amis alors qu’elle se trouvait dans un bar. « On était devant en train de danser près du DJ, et j’ai remarqué ce mec qui avait sorti son téléphone et qui nous filmait », raconte Entwistle. « Il ne cherchait même pas à être discret. »
Même quand on lui a demandé d’arrêter, l’homme a continué à filmer. Ça a duré 40 minutes. « C’était vraiment gênant », raconte Entwistle. « Je déteste l’idée que quelqu’un puisse avoir des images de moi sur son téléphone, qu’elles soient compromettantes ou non. »
Selon Bryony Beynon, fondatrice de la campagne Good Night Out, le problème d’images volées par des clients masculins est courant dans les soirées queer où elle travaille. En particulier dans les soirées organisées par et pour les personnes racisées. « D’après nos formations et les retours des établissements, ce sont généralement des hommes qui le font, mais pas exclusivement. Il s’agit d’une attitude ouvertement voyeuriste vis-à-vis de l’endroit où ils se trouvent », explique Beynon. « Si vous vous invitez dans un espace communautaire, il faut faire preuve de respect. »
Fabric a répondu directement au tweet de Peacock et a banni à vie l’auteur de la vidéo, @Doddsyy97, pour avoir violé la règle anti-photo de l’établissement. Peacock se dit « très heureux » de la réponse du club, mais l’auteur a depuis posté une autre vidéo se moquant d’autres personnes qui dansaient dans une autre boîte de nuit – toujours avec une avalanche de soutiens. (VICE l’a contacté pour obtenir un commentaire).