Stress, anxiété, pensées suicidaires… Placer toutes vos économies dans un marché volatil peut vite vous amener en thérapie, et c’est loin d’être une blague.
Si l’un de vos potes a les mains dans les cryptomonnaies, c’est le moment de prendre de ses nouvelles. Fin janvier, les prix du Bitcoin et de l’Ethereum, deux des cryptomonnaies les plus populaires, ont plongé à des niveaux que même de nombreux experts n’avaient pas prévus. Les memecoins (comme le Dogecoin) ont été entraînés dans leur chute. De très nombreuses personnes ont vu des milliers d’euros disparaître sous leurs yeux.
Cette chute libre s’apparente plus à un séisme soudain qu’à une lente combustion. En novembre dernier, le bitcoin avait atteint un sommet historique d’environ 69 000 dollars (61 792 euros), pour ensuite chuter de plus de 40 % en quelques mois. Depuis le dernier pic du bitcoin, le marché des cryptomonnaies a dans l’ensemble perdu plus de 1 000 milliards de dollars (895 milliards d’euros), mais a montré des signes de reprise au cours de la semaine dernière.
Présentées par de nombreux experts comme une forme démocratisée d’investissement à Wall Street, les cryptomonnaies devaient offrir la perspective d’une élévation financière pour quiconque osait se joindre à la fête. Mais il semblerait qu’en réalité, cela n’ait profité qu’à quelques privilégiés. Parmi les crypto-investisseurs, on dénombre plus de gens ordinaires prenant des risques avec leurs économies que des traders d’élite capables d’encaisser des pertes soudaines. Une enquête CNBC récente menée auprès de 750 crypto-investisseurs a révélé qu’un tiers d’entre eux ne savaient en fait que très peu de choses sur le domaine dans lequel ils avaient investi. La question qui se pose est dès lors la suivante : qu’arrive-t-il à ces personnes lorsqu’elles perdent gros ?
Des experts mettent en garde. Peter Klein est psychothérapeute cognitivo-comportemental et propose des thérapies pour les problèmes de santé mentale liés aux cryptomonnaies. D’après lui, ce krach boursier aurait déjà provoqué une « augmentation de la gravité des symptômes de dépendance ressentis face aux cryptomonnaies ». Il semblerait donc que cette montée en croissance d’investisseurs en herbe génère également une montée en croissance de crises liées à la santé mentale.
Hashim Yasir, 19 ans, est un fondateur de projet NFT et un trader de crypto. Il a récemment perdu « un bon paquet de fric » suite au crash. Il a confié à VICE que cela avait affecté sa santé mentale pendant un certain temps : « [jusque-là] je commençais à avoir confiance en mes propres capacités de trader, puis j’ai vraiment eu l’impression que le marché allait officiellement s’effondrer. »
Ses transactions avec les crypto et les NFT ont entraîné « des nuits blanches, ainsi qu’un état de stress et d’anxiété constant », impactant même sa façon d’être et d’interagir avec les autres. « Je suis devenu hyper irritable et je me mettais trop facilement en colère », a-t-il déclaré à VICE.
Contrairement à ce qu’on entend à peu près partout — à savoir que l’investissement est un accès facile et direct vers la richesse et le bonheur —, les personnes avec lesquelles je me suis entretenu m’ont confié que la crypto avait quasiment ruiné leur vie.
Sandip Das a 27 ans. Basé en Inde, il est trader et gagne sa vie en vendant du bitcoin à découvert — en d’autres termes, il parie contre le marché. S’il a su tirer profit de la chute de la cryptomonnaie, il avoue que l’année de trading écoulée a quand même fait des ravages.
« Je dors à peine trois à quatre heures par jour, ce qui m’amène à faire de graves erreurs sur le marché », explique-t-il. « J’ai également commencé à ressentir des douleurs au niveau des épaules et de la nuque en raison du stress constant ». Sandip souffre de troubles bipolaires et affirme que la crypto n’a pas été tendre avec sa santé mentale. « La crypto, ça va vous anéantir émotionnellement et physiquement », prévient-il. « Vous serez marqué à vie ».
Un homme — un Russe de 33 ans qui nous a demandé de ne pas divulguer son nom — m’a confié se sentir dépendant face à la crypto. Il est coincé dans un cercle vicieux où il essaie de résorber ses pertes, mais où il ne fait que perdre davantage.
C’est en novembre 2017 qu’il a commencé à investir. Cette année-là, le cours du bitcoin a flambé et l’homme a pu en tirer quelques bénéfices. Actuellement, il a perdu tout l’argent économisé au cours de sa vie, soit 131 750 euros. « Mentalement, c’est écœurant, car je n’ai même pas pu partager ça avec ma femme », dit-il. « Je suis dans une sale situation financière et ce n’est pas la situation dans laquelle je voulais me trouver. Ça a ruiné mon monde et ma santé mentale, à tel point que j’ai fait une tentative de suicide. »
Malgré le stress intense partagé par certains investisseurs, il n’est pas facile pour eux de trouver un espace où en discuter. Les conversations Reddit et Twitter autour de la crypto ne proposent généralement qu’une seule attitude à adopter face aux ralentissements : « Ne sois une putain de stressée, HODL [Hold on for Dear Life, soit « tiens bon, comme si ta vie en dépendait »] » — en d’autres termes, ne t’avise surtout pas de te retirer. Des mèmes circulant régulièrement se moquent d’ailleurs allègrement du stress intense et des tourments qui accompagnent les investisseurs au quotidien.
La nécessité d’afficher ce masque de courage inébranlable pourrait s’expliquer par le fait que dans le monde des traders, c’est l’expression même de votre anxiété qui peut avoir un impact direct sur les marchés, qui sont essentiellement le reflet de la confiance en soi. Plus les gens investissent, plus les monnaies augmentent, et plus les gens se retirent, plus elles baissent. La crypto est peut-être anxiogène, mais personne ne gagnera d’argent à le reconnaître, et ceux qui le font en perdront en un claquement de doigts.