Pour celles et ceux qui ont passé une bonne partie de leur vie amoureuse un verre à la main, être sobre impose un nouvel apprentissage.
« J’ai rencontré un mec qui s’est mis à me raconter sa vie pendant hyper longtemps sans me poser la moindre question. Je m’ennuyais tellement, j’aurais bien aimé boire une pinte de bière. » Clara (29 ans) a fait une pause de l’alcool pendant un mois pour la première fois l’année passée. Elle a été heureuse de découvrir qu’elle n’est « ni moins drôle ni moins intéressante sobre ». Les gueules de bois ne lui ont pas manqué, ni « l’enfer des premiers rapports bourrés ». Mais il y a eu quelques moments difficiles, et notamment les premiers dates avec des quasi-inconnus.
La consommation d’alcool baisse, notamment chez les jeunes. En Belgique, on boit deux fois moins de bière qu’il y a 30 ans, d’après le dernier rapport annuel des brasseurs belges. Il n’empêche, le bar reste l’un des endroits les plus courants où l’on se fixe un premier rendez-vous. Pour celles et ceux qui ont passé une bonne partie de leur vie amoureuse un verre à la main, être sobre impose un nouvel apprentissage : sans alcool, comment se regarder dans les yeux, oser un premier baiser et plus si affinités ?
Premier (bon) élément, rencontrer quelqu’un sobre exclut d’office certaines personnes à qui vous auriez laissé une chance avec quelques verres dans le nez. « Bourrée, j’aurais sans doute été contente de plaire, sans me demander si c’était réciproque », analyse Clara en repensant à son rendez-vous raté. « Mais là, sobre, c’était impossible de passer à côté du fait que j’étais pas intéressée. »
Le pouvoir désinhibant de l’alcool présente certes la capacité de lubrifier la rencontre, mais il n’aide pas à prendre les meilleures décisions et ses effets sont imprévisibles : « L’éthanol agit sur tellement de neurotransmetteurs qu’on ne peut pas être sûr de ce qui va se passer », explique Catherine Hanak, psychiatre et addictologue au CHU Brugmann, à Bruxelles. Difficile alors d’être dans l’état requis pour bien évaluer la situation qu’on vit face à une nouvelle rencontre. A-t-on apprécié cette personne en elle-même, sa présence ou juste le fait d’avoir enfilé des verres ?
Plusieurs mois après la fin de sa pause, Clara a finalement rencontré quelqu’un lors d’une soirée alcoolisée. Heureusement, elle l’apprécie toujours, même quand elle ne boit pas : « Ça se passe hyper bien ! Mais on s’est dit plein de choses sur notre vie dont j’ai aucun souvenir. Maintenant, j’ose pas lui poser certaines questions, de peur qu’on ait déjà abordé le sujet… »
Quand vous prenez le parti de chercher l’amour sobre, apprendre à gérer votre nervosité autrement qu’en vous cachant derrière un verre constitue un défi majeur. Valérie (33 ans) ne se considère pas comme alcoolique mais elle a toujours bu lors de ses rendez-vous amoureux, notamment « pour faire taire [son] anxiété sociale ». Après « une relation qui s’est très mal passée » et à laquelle elle « aurait mis un terme bien plus tôt » si elle avait été moins sous l’influence de la boisson, elle s’est totalement sevrée. Depuis quelques semaines, elle est inscrite sur des applications de rencontres, mais elle n’a pas encore fixé de rendez-vous, car elle appréhende encore trop le regard des autres : « J’ai peur de pas être à l’aise et de devoir me justifier, ou qu’on me demande pourquoi je bois pas… »
Maud (24 ans), elle, n’a jamais aimé « se mettre des caisses », mais elle a arrêté de boire après une période où elle trouvait « que l’alcool s’installait trop dans [son] quotidien ». Après avoir stoppé, elle a été frappée par la pression sociale qui fait de l’alcool un automatisme, et les stéréotypes sexistes qui vont avec : « Quand on est une fille, il faut boire, mais pas trop. Quand je racontais que j’avais déjà été super bourrée, je sentais que c’était pas en phase avec l’idéal féminin de certains garçons… alors qu’on pourrait davantage se questionner sur le fait que tout le monde boit autant, tout le temps. » Dans tous les cas, même si ça peut s’avérer peu excitant, et même un peu lourd, « c’est important d’expliquer qu’on ne boit pas, pour partir sur des bases saines », juge Catherine Hanak.
Sobre depuis trois ans après de longues années d’ivresse, l’humoriste Maxime Musqua (36 ans) a développé des techniques pour dédramatiser le sujet. « Je donne rendez-vous le dimanche matin, c’est super pratique pour ne pas avoir de décalage sur la consommation », me dit-il.
Certain·es utilisateur·ices des applications de rencontre semblent également être de plus ou plus ouvert·es à l’idée de faire des dates ailleurs que dans un bar. En 2022, l’application Bumble avait publié ses prédictions. Selon leurs conclusions, la consommation d’alcool ne jouait plus un rôle aussi important dans les rencontres ou relations amoureuses qu’auparavant. Sur cette application, 34% des personnes sondées se déclarent d’ailleurs plus susceptibles d’avoir un dry date aujourd’hui qu’avant la pandémie.
Mais en arrêtant de boire ou en diminuant, il est aussi possible que vous ayez tout simplement besoin de mettre en pause votre vie sentimentale. Annabelle (31 ans) a décidé de réduire sa consommation parce qu’elle ne supportait plus les gueules de bois, alors qu’elle consacrait toute son énergie à d’importants changements dans sa vie : « J’étais en reconversion professionnelle, je suivais une thérapie… » Cette période l’a plongée, au niveau sentimental, dans une traversée du désert d’un peu plus d’un an « plutôt bien vécue ». « Intérieurement, c’était trop le chantier pour être avec quelqu’un », estime-t-elle. Depuis quelques semaines, elle voit un garçon rencontré à son cours de chant – une activité qu’elle a démarrée après avoir arrêté l’alcool.